L’Empreinte par Coline Charbin

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Des étudiants proposent leurs critiques de livres des auteurs invités des AIR 2020. Découvrez la critique de L’Empreinte d’Alex Marzano-Lesnevich (Sonatine, 2019) par Coline Charbin, étudiante à l’Université Lumière Lyon 2.

En 2003, Alex Marzano-Lesnevich est étudiant·e en droit à Harvard. Ses études la mènent à effectuer un stage dans un cabinet d’avocats de la Nouvelle-Orléans, qui s’intéresse de près aux détenus qui se trouvent dans le couloir de la mort. Alex est farouchement opposé·e à la peine de mort. Mais ses certitudes se retrouvent ébranlées par la découverte d’un tueur emprisonné en Louisiane, Rick Langley. Ce dernier, pédophile condamné âgé de 26 ans, avoue avoir tué par étranglement un enfant de 6 ans, Jérémy Guillory, en 1992. Condamné à mort 9 ans plus tôt, le jury change sa peine et le condamne alors à la prison à perpétuité.

En visionnant la vidéo des aveux de Rick Langley, qu’Alex est bouleversé·e. C’est cette vidéo qui a tout changé pour l’étudiant·e.

« Cette vidéo m’a amené·e à réexaminer tout ce que je croyais, non seulement au sujet du droit, mais au sujet de ma famille et de mon passé. Il aurait peut-être mieux valu pour moi que je ne la voie jamais. Il aurait peut-être mieux valu pour moi que ma vie puisse demeurer dans la période d’avant, plus simple ».

Ces aveux effrayants résonnent en iel et lui font revivre, bien malgré iel, de terribles souvenirs de son enfance, jusqu’alors enfouis dans le silence assourdissant du secret familial. Ce secret, c’est celui d’un grand-père violeur pédophile, qui a abusé d’Alex et de sa sœur des années durant. Malgré les révélations d’Alex, ses parents décident de fermer les yeux, pour protéger la cohésion et l’image de la famille. Comme dans beaucoup trop d’autres familles, on espère que cette histoire sordide sera effacée par le temps, le silence et le tabou, au détriment de la santé et de l’enfance gâchée de deux innocentes petites filles. 

Pourtant, le corps n’oublie pas et garde une terrible empreinte de ces violences. Le corps blessé d’Alex exprimera ses souffrances par de l’anorexie et des cicatrices qui ne s’effacent pas. Le corps gardera ces traumatismes dans sa chair, et on ne peut que comprendre le titre original du livre, The fact of a body, car le corps lui, n’oublie jamais. Pour Jérémy Guillory, c’est aussi ce petit corps qui a souffert, ce corps qui témoigne de la violence du meurtre, ce corps que l’on examine de près en espérant qu’il nous révélera la façon dont Rick Langley a réalisé son crime.  

Alex entame un véritable travail d’investigation qui durera 10 ans, étudiant avec soin des dizaines d’articles de presse, de reportages, d’entretiens en face à face, de procès-verbaux, afin d’essayer de comprendre ce qui a pu conduire Langley à commettre ce meurtre abominable. Une enquête passionnante, obsédante, qui, mêlée à l’histoire de l’enfance d’Alex, amène de nombreuses réflexions autour de thèmes très complexes : la pédophilie, le traumatisme, la recherche de la vérité, le choix du pardon, les travers du système judiciaire américain, la peine de mort…

Cette œuvre est un véritable « cocktail » littéraire, qui mêle autobiographie, journalisme d’investigation et plaidoyer judiciaire. C’est une lecture troublante, parfois difficile, mais définitivement passionnante. Alex écrit avec franchise et sans faux-semblants, elle ne nous ménage pas, ne nous passe pas les terribles détails, sans pour autant essayer de nous faire pleurer à chaque page. C’est un récit authentique, une enquête haletante, et une introspection très touchante.

On voudrait refermer le livre pour oublier ces terribles récits, mais on aura plutôt tendance à le lire d’une traite pour enfin découvrir le fin mot de l’histoire. 

Coline Charbin

Pour aller plus loin : écoutez la lecture d’un extrait de L’Empreinte par Coline Charbin.