“En quête”, par Hélène Gaudy

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J’ai une passion pour les séries policières. Elles m’apaisent. Qu’elles soient souvent construites sur le même modèle ne me dérange pas, au contraire. Il y a dans la plupart d’entre elles le même schéma récurrent, réparateur. Dans l’enquête, ce n’est pas la résolution qui importe, c’est le soin : qu’on prenne soin du corps trouvé, qu’on ne le laisse pas seul, qu’on remonte le fil de son existence, jusqu’à sa disparition.

Pour moi, l’enquête littéraire tient également au soin que l’on porte à la quête. Le corps n’apparaît pas toujours au début du récit. Souvent, c’est l’écriture qui le construit : au début, on ne sait pas à quoi il ressemble, on ignore sur quoi on se penche mais, à tâtons, on avance. Quand le récit prend corps, quand il finit par se dresser, on comprend que c’était lui qu’on veillait — c’est sa disparition que l’on tentait d’élucider. 

L’enquête sonde la part manquante, le vide, le manque : l’écriture n’est pas là pour le remplir mais pour faire émerger sa forme creuse.

L’enquête éparpille : on part dans tous les sens, on glane des fragments qui ne prendront sens qu’une fois assemblés, frottés les uns contre les autres. C’est le montage qui définit les images, la multiplicité qui fait corps. 

L’enquête impose ses expériences, ses rencontres, ses recherches, dont parfois il ne restera pas grand-chose — un mot, une image, une impression fugace, qui ne s’éclaireront qu’une fois reliés à d’autres.

L’enquête dédouble : on devient alternativement le criminel, l’enquêteur, la victime. On pose soi-même des indices, sans toujours en avoir conscience, avant d’y revenir plus tard, armé d’un autre regard. Pour déchiffrer les signes faut, déjà, n’être plus tout à fait la même personne que celle qui a écrit. Parfois, ce qui émerge à la deuxième lecture n’est pas du tout ce qu’on avait cru écrire. Un autre récit s’est formé à notre insu, entre les lignes, auquel seule la distance peut rendre sensible.

L’enquête fait douter. L’incertitude est son terreau, son moteur. On pose, dans des sables mouvants, des bornes auxquelles il faudra revenir pour les relier, les re-lire. 

Les questions soulevées par la période que l’on vit resurgiront peut-être sous une toute autre forme, révélant ce qu’on n’avait pas su voir, ce qu’on n’était pas prêts à comprendre. Les bornes que l’on pose, les notes que l’on prend sont des rébus pour l’avenir, des fils que nous tirons, pour l’heure, dans l’ignorance, des traces de ce que nous comprenons peut-être sans le savoir et qui fabriqueront, plus tard, notre regard sur le présent.

En prolongement : Georges Perec / W ou le souvenir d’enfance

C’est pour moi l’écriture en quête par excellence. Deux récits se croisent : des extraits d’un cahier où Perec, enfant, avait inventé l’île de W, et les rares fragments, écrits à l’âge adulte, de ses maigres souvenirs d’enfance. Les deux récits s’affûtent l’un à l’autre jusqu’à ce que l’île imaginaire en vienne à évoquer un univers concentrationnaire qui préfigure la disparition de ses parents pendant la guerre. 

Le temps et le frottement de ces deux récits en font émerger, en creux, un troisième, que chaque lecteur contribue à construire — une forme pour le non-dit, une prescience de la perte, une tentative, fragile et tenace, de vivre avec.